Place de la Comédie, samedi 9 mars 2019. Une foule de gilets jaunes scintillent sous la caresse brutale du soleil tandis que les premiers coups de tambour se mettent à retentir. Deux mille personnes se massent autour de l’Oeuf, bavardant gaiement en attendant que la manifestation commence, dix septième acte de ce mouvement atypique, inédit dans l’histoire contemporaine, que représentent les gilets jaunes. Pour un départ, il y a grand monde. Beaucoup de pancartes où les revendications laissent massivement place aux protestations contre les violences policières et la répression du gouvernement. De plus en plus de cheveux blancs et toujours plus de jeunes, venus en nombre grossir les rangs de la manifestation après un seizième acte très sportif, où des affrontements violents ont eu lieu entre le black bloc et la BAC notamment.
Il est à peine 14h30 que la foule rugit déjà. Que se passe-t-il donc ? Un mouvement de course entraîne plusieurs centaines de manifestants vers le Monoprix, devant lequel un escadron de la BAC s’était posté, faisant crânement face à l’assistance. Les agents de la BAC reçoivent le concours de leurs collègues de la CDI 34, qui les exfiltrent sous les vivats. La foule fait face à ceux-ci et s’insurge contre une présence policière inédite en début de manifestation. Plusieurs agents de la BAC s’infiltrent rapidement et procèdent à l’interpellation éclair d’une manifestante casquée et masquée. Des gens tentent de s’interposer, une femme et un homme âgé tombent à terre, aussitôt assistés par les médics. La foule enrage et fait reculer petit à petit la CDI 34 en contrebas de l’opéra. Lorsque la présence policière est réduite à néant, le cortège se rassemble de lui-même et se met en route.
Passant par les petites rues de l’Écusson, il s’allonge et s’épaissit pourtant à vue d’œil, débouche sur le boulevard Louis Blanc dans l’intention de remonter vers la place de la Comédie par l’escalier du Corum. Tout se déroule d’abord dans une ambiance bon enfant. Mais au loin, au sommet, des lignes de policiers empêchent l’itinéraire. On longe donc le Corum pour faire un petit tour par l’arrière du Polygone, où des poubelles sont brûlées et les vitres de l’arrêt de tram explosées sous l’indifférence des manifestants. Les chants et slogans anti-Macron retentissent. La foule est immense, impressionnante, contredit la version donnée par les média dominants qui reprennent les chiffres préfectoraux sans être, de toute évidence, présents sur le terrain. La tête de cortège doit à de nombreuses reprises s’arrêter pour laisser les derniers combler leur retard.
On remonte vers la Comédie par le petit passage longeant le Polygone. Des CRS sont déjà présents pour accueillir la foule. La présence policière enrage celle-ci et notamment le black-bloc, dont des membres se ruent sur le MacDo et en détruisent le rideau de fer à coup de pieds. Les CRS arrivent rapidement pour protéger le symbole capitaliste visé, mais essuient des tirs de projectiles : bouteilles, pierres, mais aussi un “cacatov” qui manque sa cible et s’écrase au sol. Pluie de lacrymo. Un petit chien qui porte un gilet jaune court innocemment derrière les palets. La dispersion n’a même pas encore eu lieu. Il reste plusieurs milliers de personnes sur la Comédie qui reprennent leur route vers l’habituelle place de la Préfecture, sous les gaz.
Le dispositif policier est plus important qu’auparavant. Plusieurs groupes de CRS cernent les petites rues en plus des sempiternelles lignes barrant l’accès à la Préfecture. Un “cacatov” s’écrase vite aux pieds d’un escadron de la BAC présent à côté du Gibert, le mettant en fuite immédiate. Quelques quolibets, une ou deux bouteilles et pétards jetés, suffisent ensuite à provoquer une très rapide dispersion au gaz lacrymogène et à la lance à eau. Les insultes fusent, et comme toujours, “tout le monde déteste la police”. La manif sauvage s’engage dans la rue Foch alors que la foule se disperse petit à petit. Un millier de personnes se déplace vers le jardin du Peyrou, non sans insulter copieusement les équipes de la BAC qui cernent les ruelles. Devant le Peyrou, un mouvement de foule déclenche une charge de la tête de cortège, qui toute de noire revêtue, se jette très violemment contre les CRS présents qui la repoussent à coups de tonfa et en profitent pour récupérer la bannière de tête. La lacrymo pleut à nouveau et fait redescendre la foule vers le boulevard Henri IV.
C’est là que commence une véritable course poursuite entre un gros millier de manifestants résistants, dont l’immense majorité est pacifique et ne se prête à aucune dégradation, mais cautionne les efforts des “casseurs” pour détruire tout panneau publicitaire, toute caméra de surveillance, et toute banque sur leur passage. Le cortège, qui enchaîne entre pas rapides et course folle, redescend vers les Arceaux et s’engage sur Gambetta sous la poursuite des palets de lacrymogène. On observe une grande solidarité entre le black bloc et les néophytes qui se sont retrouvés un peu là par hasard. Tout le monde se refile du sérum physiologique, se donne des conseils, avertit de la présence d’un escadron de la BAC au bout d’une petite rue… Plusieurs tentatives de dispersion échouent successivement malgré le nombre très important de policiers, sur l’avenue Clémenceau et le boulevard Renouvier. Nouveau passage sur Gambetta, avec à nouveau de la casse sur les arrêts de bus, les panneaux publicitaires. Les voitures de la BAC filent dans les petites rues. L’une d’entre elles prendra, en sens inverse, de pleine face une voiture au pied de l’avenue de Toulouse. Et dispersion finale sur Renouvier, dans un grand mouvement de panique. Une partie du cortège parviendra à retourner sur la place de la Comédie où de nouveaux affrontements avec les forces de l’ordre auront lieu. Bilan de la journée, quinze interpellations, trois policiers blessés, des blessés parmi les manifestants.
Chemin terrible que prend cette mobilisation, malgré les efforts du gouvernement et des média de masse pour en contester l’amplification et le réduire à des stéréotypes. Approchant de l’acte 18, pour lequel les gilets jaunes projettent une déferlante humaine sur Paris, le gouvernement a-t-il voulu taper fort, pour dissuader ? Toujours est-il, comme nous avons déjà eu l’occasion de le démontrer dans nos précédents articles, c’est le comportement des forces de l’ordre qui détermine le niveau de violence des manifestations. Avec une présence policière massive, vécue comme un harcèlement par les manifestants, cet acte 17 à Montpellier est parti sur les chapeaux de roues, avec des participants particulièrement échaudés par l’attitude de la BAC, de la CDI 34 et des CRS. L’issue de cette manifestation en est un exemple probant, avec un niveau de participation record à cette poursuite “sauvage” et une casse ayant touché tout le pourtour du centre, des affrontements répétés entre les membres du black bloc et les forces de l’ordre.
D’ailleurs, dans ce “black bloc”, qui sont-ils ? Des militants d’extrême-gauche bien sûr, qui font un peu office de guides pour tous les autres : des jeunes, étudiants ou travailleurs, des couples, des groupes de potes, des gens comme tout le monde. Ceux-ci n’appliquent d’ailleurs pas parfaitement les codes du black bloc, la plupart reste souvent très reconnaissable et ne s’adonne à aucune dégradation ni violence, peut se contenter de renvoyer les palets de lacrymo qu’elle reçoit vers les policiers. La plupart se contente de courir et faire bloc. Difficile pour les plus vieux de suivre le rythme de cette manif sauvage, pourtant certains sont encore là. Ils y tenaient, révoltés par l’encadrement policier du mouvement. A la fin de la dispersion, des manifestants sont rattrapés par les forces de police et fouillés. Parmi eux, pas une seule capuche noire…
On peut toujours jouer les moralistes et ne condamner que les violences contre les forces de l’ordre, les dégradations, tenter de réduire ce mouvement à une horde mal éduquée qui refuse d’accepter le grand jeu du monde. Toujours est-il qu’à la vérité, comme une verrue, plus on le gratte et plus il grossit. Plus les forces de l’ordre jouent le jeu de la sévérité, et plus les manifestations dégénèrent et accumulent de participants en même temps. C’est un jeu dangereux auquel se prête le gouvernement, à trop tâcher de discréditer le mouvement en le manipulant par cette violence policière et le poussant à se radicaliser, il en récolte au final une mobilisation qui ne cesse de s’accroître, en dépit des chiffres ridicules communiqués toutes trompettes hurlantes dans les média. Alors cherche-t-il le point de rupture ? Pousse-t-il cette violence pour qu’elle aboutisse à la mort, d’un manifestant ou d’un policier ? Ce samedi, on n’est pas passé loin de véritables scènes de lynchage. Les forces de l’ordre sont à bout, de plus en plus agressives. La tension était immense entre elles et l’ensemble des manifestants. Pourtant, il y a fort à parier qu’en l’absence des forces de l’ordre au début du rassemblement, celui-ci se serait passé de manière bien plus calme et pacifique, la casse serait comme toujours intervenue après la dispersion, et beaucoup de gilets jaunes authentiques n’auraient pas vécu ce sentiment d’injustice qui est à la base de l’amplification du mouvement. Il est fort probable que malgré le rendez-vous donné à Paris pour l’acte 18, samedi prochain promette de nouvelles scènes de violences à Montpellier.
Vidéoreportage : Tistet Védène
Photographies : Andrea Saulle
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