Des militant∙es montpelliérain∙es au soutien des états-unienne∙es : « mon corps, mon choix, ta gueule »

 

C’est un fil de fer, un simple fil de fer. Sa forme l’est tout autant : un triangle, au sommet duquel les extrémités métalliques s’entrecroisent et s’emmêlent pour former ce crochet si reconnaissable. Sous le soleil de plomb, il brille, rayonne. Difficile même de le regarder. Il projette ses reflets sur la main qui le brandit. Il n’est pas seul. Des dizaines d’autres sont là, dépassant du cortège qui traverse le centre-ville de Montpellier. Trois lettres, une revendication. IVG. C’est un fil de fer, un simple fil de fer. Et c’est pourtant bien plus que cela.

Si tu n’as pas encore compris de quoi l’on parle, tu aurais peut-être dû les voir ce samedi. Pancartes et slogans à l’appui, iels sont quelques centaines à avoir défilé de la place de la Comédie à celle de la préfecture avec un objectif : montrer leur volonté farouche de défendre le droit à l’avortement. Car ce droit, s’il est élémentaire, il ne l’est pas pour tout le monde. Encore moins pour une bonne frange de la population, toujours ancrée dans des idéologies traditionalistes et bien loin des réalités quotidiennes des personnes les plus précaires, bien loin des préoccupations de celles pour qui l’accès à la contraception est difficile, voire impossible, bien loin des personnes qui mettent, ni plus ni moins, que leur vie en jeu, bien loin, enfin, de toutes ces personnes qui luttent jour après jour, pour conquérir, préserver ou rafler des droits nécessaire à leur survie. C’est pour cela que le 2 juillet, partout en France, des milliers de personnes étaient dans les rues pour défendre ce droit, presque 50 après sa légalisation en 1974.

C’est aux Etats-Unis que ça a commencé. En 1973, la Cour Suprême des Etats-Unis rend un arrêt, statuant sur la constitutionnalité de la législation criminalisant le recours à l’Interruption Volontaire de Grossesse. C’est cet arrêt qui garantissait aux états-unien∙nes un accès un minimum sécurisé à l’avortement. Le 24 juin 2022, la Cour Suprême annule cet arrêt, laissant libre choix aux Etats Fédéraux de statuer sur la question. Dans la foulée, neuf états décrètent sur leur territoire l’avortement illégal, dont six, l’Alabama, l’Arkansas, le Kentucky, la Louisiane, le Missouri et le Dakota du Sud, ne tolèrent aucune exception en cas de viol ou d’inceste. Digne héritage de Trump, qui a laissé derrière lui une Cour Suprême à majorité républicaine. Une décision prise par six hommes et trois femmes, mettant en danger plusieurs centaines de milliers de personnes. Voilà un très court résumé de la situation. Depuis, en soutien aux états-unien∙nes, mais aussi à toutes les personnes concernées par les problématiques d’accès à l’IVG, des militant∙es se mobilisent partout dans le monde. Partout, la lutte est relancée.

C’est cela que le cintre veut dire. Est-ce que tu le savais ? Est-ce que tu savais que, chaque année, 47 000 femmes meurent des suites d’avortements « clandestins » ? Est-ce que tu savais que ce cintre, ce simple fil de fer, est l’une des méthodes utilisées en cas de grossesse non désirée, par les personnes n’ayant pas les moyens sanitaires, politiques ou financiers pour pratiquer un avortement ? Savais-tu que le risque de mort ne les arrête pas ? L’interdiction du recours à l’avortement ne le fait pas disparaître. Elle tue. Elle tue les femmes qui y ont recours malgré tout, elle emprisonne celles qui ne sont pour rien à la mort d’un fœtus, elle verrouille la question de l’accès à la contraception sous un tabou. Tu devrais le savoir. Selon l’Organisation Mondiale de La Santé, 73 millions d’avortements sont pratiqués chaque année dans le monde. Plus de 45% sont « non sécurisés », il s’agit dans la majorité des cas d’avortements clandestins.

Parmi celleux qui battent le pavé et reprennent en cœur des slogans, iels sont nombreux∙ses à avoir déjà eu recours à un avortement. Iels seront plus à même de te le raconter. Attention, certains témoignages peuvent être difficiles et font mention de violences conjugales et de violences sexistes et sexuelles.

               « C’était une grossesse pas prévue, je ne voulais pas encore d’enfant à ce moment-là, et j’ai mis très longtemps à me décider. C’était dans les années 1990, et à ce moment-là, c’est vrai que le tabou autour de l’IVG était plus important que maintenant. J’avais même pas osé l’envisager. Et je me sentais très très mal d’avoir à garder cet enfant, j’avais peur de ne pas l’aimer. En fait, je  l’aimais pas. Et puis finalement j’ai avorté, ça a été une libération, même si la décision a été difficile à prendre. »

               « J’avais déjà 3 enfants quand je suis tombée enceinte. Je venais de me séparer de mon compagnon quand je l’ai appris et c’était pas possible d’élever un quatrième enfant dans ces conditions, alors j’ai préféré avorter. »

               « Je suis tombée enceinte d’un homme violent. Pendant des années, il me harcelait et me frappait à chaque fois que je faisais un truc qui le dérangeait. Je suis restée avec lui jusqu’à ce que je tombe enceinte. J’ai eu peur pour cet enfant, qu’il lui fasse aussi du mal, ou il devienne un moyen supplémentaire de pression pour qu’il me fasse du mal. Ça été un déclic. Je suis partie, et comme j’ai eu peur que avoir un enfant de lui puisse lui permettre de me retrouver, j’ai avorté et depuis, je n’ai plus jamais entendu parler de lui. »

               « Je suis tombée enceinte de mon copain quand j’avais 18 ans. Garder le bébé, ça voulait dire pas faire d’études et à ce moment-là, je voulais faire médecine, alors on a vite pris la décision ensemble de pas garder le bébé. Mais ça a pas été facile. Ma famille est très catho, alors ils sont contre l’IVG. Je suis sûre qu’ils auraient voulu que je garde le bébé. C’est pour ça que je leur ai rien dit, j’ai dû prendre rendez-vous en secret, alors que je vivais toujours chez mes parents. C’était hyper stressant, j’avais tellement peur qu’ils découvrent tout et qu’ils m’obligent à avoir ce bébé. »

               « Moi je n’ai pas avorté. J’aurais voulu avorter, mais mon mari ne m’a pas laissé le choix. Il a menacé de me coller un procès si jamais je le faisais. J’ai eu mon fils, et je l’aime plus que tout dans ce monde, mais j’ai toujours regretté de ne pas avoir eu le choix. J’ai très mal vécu la grossesse et l’accouchement et je n’ai pas eu ce « coup de foudre » à la naissance dont tout le monde parle. Et puis, j’ai commencé à culpabiliser. Les premières années de vie de mon fils n’ont été que de la culpabilité pour tout : culpabilité d’avoir voulu avorter, de ne l’avoir pas fait quand je sentais mon fils triste ou malheureux, culpabilité de ne pas l’aimer assez. Ça a été très douloureux. »

               « J’ai été violée quand j’avais 20 ans. Quand j’ai appris que j’étais enceinte, ça a été la goutte de trop, j’ai voulu me suicider. L’idée d’avoir une partie de mon violeur en moi était insupportable. Heureusement, j’ai été très bien entourée par mes ami∙es, à qui j’ai tout raconté. Ce sont eux qui m’ont empêché de me suicider. J’avais super peur de le dire à ma famille, dire que j’avais été violée, que j’étais enceinte et que je voulais avorter. Et finalement, j’ai avorté, et ça m’a sauvé la vie. »

Y pensais-tu, en passant à proximité de la manifestation, quand tu as sorti ton téléphone pour montrer à tes potes que tu étais dans une manif ? Si tu avais su tout ça, qu’aurais tu fait ? Les aurais-tu rejoints ? Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? Car le sujet te concerne, toi, ou peut-être ta mère, ta sœur, ta grand-mère, ou même toi, homme cisgenre en pleine possession de tes capacités reproductives. Et toi, qui, caméra au poing, stylo à la main, interrogeait les militant∙es, avais-tu conscience de ces histoires quand tu as partagé quelques publications froides et factuelles ?

En France, le recours à l’IVG est possible depuis 1975, réglementé par la loi Veil. Depuis mars 2022, le délai maximum de recours est fixé à 14 semaines de grossesse pour les IVG chirurgicales. À ce stade, il ne s’agit encore que d’un fœtus mesurant au maximum 80mm. Pour ce qui concerne les pratiques médicamenteuses, La Haute Autorité de la Santé validait en 2021 l’allongement du délai de 7 à 9 semaines, stade auquel il ne s’agit encore que d’un embryon. La France fait donc partie des pays où l’avortement est censé, dans les textes de loi, être le plus sécurisé et le plus accessible. Malgré cela, quelques difficultés résident. La clause de conscience en particulier fait débat. Et pour cause, comment au nom de croyances religieuses, peut-on accorder un passe-droit à certain∙es gynécologues ? Cynique, dans un pays ou les concepts de laïcité font couler beaucoup d’encre.

Quand certains états états-uniens criminalisent le recours à l’IVG, le geste est symbolique. Quand le pays des lumières (publicitaires) revient des années en arrière en matière de droit de femmes, ce n’est pas sans inquiéter les militant∙es du monde entier. Il ne faut pas ignorer que le « modèle » états-uniens a encore beaucoup d’adeptes. Un recul du droit des femmes dans un certain nombre de pays est donc à craindre. En France, de nombreuses voix s’élèvent pour demander l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution. Ainsi, il serait beaucoup plus complexe à défaire et pourrait souffler l’espoir que les opposant∙es à l’avortement ont pu avoir après l’annonce de la décision de la Cour Suprême états-unienne. Mais même si beaucoup de responsables politiques s’y disent favorables – et en même temps, difficile de s’opposer à ce droit à disposer de son corps sans passer pour un∙e masculiniste sexiste et réactionnaire – la procédure reste très longue. Une proposition de révision de la constitution doit être votée obligatoirement par l’Assemblée nationale et le Sénat. La proposition doit être ensuite soumise au referendum et validée par le Conseil constitutionnel. Il existe aussi d’autres voies qui engagent l’initiative du Président de la République, chose qui semble, à l’heure actuelle, peu probable. Mais qui sait, si l’appât du gain en termes d’image médiatique est assez élevé, on peut imaginer Macron porter le projet.

Alors tu comprends, pourquoi iels étaient là. Tu vois la colère, de devoir, encore et toujours, défendre les mêmes choses, les mêmes droits, comme si ça n’avançait pas. Tu vois le désarroi de ces militant∙es, parfois fatigué∙es par tous ces combats à mener de front. Mais tu vois aussi la détermination de ne rien céder et de continuer à lutter pour arracher s’il le faut, les droits qui leur sont dus, qui nous sont dus. À toustes. Et tu le sens, s’il faut recommencer, iels recommenceront. La lutte n’est jamais finie, pas même celle du droit à l’avortement. Mais ce n’est pas si terrible finalement, car iels seront toujours nombreux∙ses à continuer la lutte, quels que soient les obstacles, quels que soient les moyens. Au fil de fer, s’il le faut.







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